À propos

Un survol historique de la Banque de cerveaux Douglas-Bell Canada

Naguib Mechawar, PhD

Les origines de la Banque

Le Centre de recherche de l’Hôpital Douglas fut inauguré en 1980, sous la présidence du Dr. Heinz Lehmann et la direction du Dr. Vasavan Nair. À cette époque, plusieurs des chercheurs de notre Centre s’intéressaient à l’hypothèse voulant que l’intégrité des innervations cholinergiques centrales est atteinte dans la maladie d’Alzheimer. C’est la grande difficulté qu’ils eurent à obtenir des cerveaux post-mortem de patients atteints de cette maladie qui les amena à développer des protocoles visant l’acquisition puis la préservation et la conservation de cerveaux humains pour la recherche. À la fin de cette première année, encouragés par le Dr. Nair, les Drs Sam Lal et Pierre Étienne travaillèrent à établir la Banque de cerveaux de l’Hôpital Douglas. Ils développèrent différentes collaborations, notamment avec le Dr. Yves Robitaille, qui devint alors le neuropathologiste principal de la Banque pendant près de 25 ans, maintenant ensuite sa précieuse collaboration jusqu’à son décès, en 2016. Un an plus tard, soit en décembre 1981, le premier cerveau fut acheminé à la Banque et préservé par fixation (neuropathologie et histologie) et congélation (neurochimie et biologie moléculaire). Avant la fin de l’année, en quelques semaines à peine, déjà sept cerveaux avaient été acquis. La Banque de cerveaux de l’Hôpital Douglas était véritablement lancée. Elle poursuivit sa croissance pendant les 20 années suivantes sous la direction de Rémi Quirion, qui se joignit au Douglas en 1983 comme directeur du laboratoire de neurobiologie. Il formalisa davantage la Banque en lui constituant un comité de gestion composé de lui-même, du directeur du Centre, ainsi que de quatre autres personnes activement impliquées dans le développement des opérations (Dr. Yves Robitaille, Dolly Dastoor, Maryse Beaulieu, et Pierrette Lemoine). Un comité scientifique aviseur composé de 23 experts scientifiques nationaux et internationaux fut également créé et des locaux dans le Centre de Psychiatrie Communautaire (aujourd’hui communément appelé pavillon CPC) furent dédiés aux opérations de la Banque, désormais équipée d’appareils spécialisés (microtome, congélateurs -80˚C).

Mentionnons toutefois que la question du financement de la Banque devint rapidement un enjeu majeur, comme c’est encore souvent le cas de nos jours pour les plateformes de recherche. Mais grâce à une campagne de financement spéciale organisée par la Fondation Douglas, une somme de $1M fut levée qui permit à la Banque de poursuivre ses activités pendant plusieurs années, jusqu’à ce que le Réseau Santé Mentale (Fonds de Recherche en Santé du Québec; FRSQ) contribue au financement de la Banque. À cette même époque, soit au début des années 2000, le Dr. Michel Panisset, neurologue spécialiste des troubles du mouvement, prit brièvement la direction de la Banque, en relève à Rémi Quirion. Lorsqu’il quitta pour l’Université de Montréal en 2004, il fut lui-même remplacé par Judes Poirier, chercheur du Centre et spécialiste de la neurobiologie moléculaire de la maladie d’Alzheimer. Cette période vit un autre développement majeur survenir au Centre de recherche de l’Hôpital Douglas : la Banque de cerveaux des suicides du Québec et le Groupe McGill d’Études sur le Suicide (GMÉS) furent fondés en 2002 par le Dr. Gustavo Turecki, qui venait de s’établir au Douglas comme psychiatre et chercheur spécialisé dans l’étude de la dépression et du suicide. Cette nouvelle banque fut fondée à partir de quelques dizaines de cerveaux de personnes ayant souffert de maladies mentales, précédemment acquis par l’Hôpital Louis-Hippolyte Lafontaine. Ces spécimens furent transférés au Douglas et entreposés dans les nouveaux locaux occupés par la Banque, au quatrième étage du pavillon Perry, le pavillon principal de l’Hôpital Douglas. Un accord fut ensuite formalisé entre le Dr. Turecki et le Bureau du Coroner qui permit au GMÉS de joindre les familles de personnes décédées par suicide ou accidentellement afin de leur offrir d’abord un soutien psychologique, puis de leur demander, si les conditions le permettent, de considérer le don du cerveau de leur proche. Depuis, le GMÉS et la Banque sont parvenus à obtenir plus de 700 dons de cerveaux, mais aussi à mener, pour chacun de ces cas, une caractérisation approfondie par autopsie psychologique. Cette étroite collaboration entre le GMÉS et la Banque depuis 20 ans a permis, au Québec comme à l’étranger, une recherche de grande qualité sur les facteurs neurobiologiques associés aux maladies psychiatriques et au suicide.

La modernisation et la diversification de la Banque

En 2007, l’auteur de ces lignes, spécialisé de neuroanatomie moléculaire, fut recruté comme chercheur du GMÉS au Centre de recherche de l’Hôpital Douglas et prit la direction de la Banque. Il se mit à travailler étroitement avec Dr. Turecki, qui devint alors co-directeur, responsable du volet suicide. Ensemble, ils décrochèrent rapidement une subvention du FRSQ qui permit à la Banque de poursuivre ses activités, notamment en recrutant du nouveau personnel hautement qualifié. En 2010, les opérations laboratoire de la Banque de cerveaux des suicides furent entièrement fusionnées à celles de la Banque générale. Seuls les mécanismes de don de cerveau ont continué de différer entre ces deux volets de la Banque.

En 2012, la Banque reçut un don sans précédent de $2M de Bell Canada, dans le cadre de la campagne annuelle Bell cause pour la cause, afin de moderniser ses infrastructures et ses services. La Banque prit alors le nom de Banque de cerveaux Douglas-Bell Canada (BCDBC). Ce don majeur permit ensuite de lever plus de $7M auprès du Ministère du développement économique et de l’innovation du Québec pour construire, autour de la BCDBC, le nouveau Centre de recherche translationnelle sur les troubles de l’humeur et le suicide, un ensemble de laboratoires pour le GMÉS doté d’équipements de pointe pour la recherche sur le cerveau humain. Ces installations modernes furent inaugurées en 2015 et c’est depuis lors que la Banque offre un service d’histologie aux usagers. La même année vit naître le Réseau québécois de recherche sur le suicide (aujourd’hui Réseau québécois de recherche sur le suicide, les troubles de l’humeur et les troubles associés), subventionné par le FRQS1, qui se mit à soutenir financièrement une partie des activités de la BCDBC ainsi que d’autres plateformes essentielles pour la recherche québécoise sur le suicide.

En 2016, un autre changement majeur survint à la Banque, avec la fin du programme général de don de cerveau. Il fut en effet décidé de cesser ce mode d’acquisition pour le remplacer par un recrutement ciblé auprès de participants à des études fondamentales ou cliniques longitudinales. Ces partenariats avec les responsables de telles études majeures en milieu universitaire permettent aujourd’hui à la BCDBC de mettre à la disponibilité de la communauté scientifique des échantillons cérébraux post-mortem s’accompagnant, en plus du dossier clinique, d’une quantité considérable de données (ex. : scans cérébraux, évaluations cognitives) et parfois d’échantillons additionnels (ex. : sang, cellules souches) obtenus du vivant des participants au fil des ans. Les premières études du genre à établir un partenariat avec la Banque furent le Consortium pour l’identification précoce de la maladie d’Alzheimer (CIMA-Q) et un programme similaire à l’échelle canadienne, le Consortium canadien en neurodégénérescence associée au vieillissement (CCNV). Suivirent ensuite, par exemple, un partenariat avec le programme clinique de sclérose latérale amyotrophique de l’Institut Neurologique de Montréal et, plus récemment, une entente avec Autism BrainNet, un consortium international dont l’objectif est de constituer une banque de cerveaux (multisites) de personnes décédées avec un trouble du spectre de l’autisme.

Un passé garant de l’avenir

La BCDBC traite à chaque année des dizaines de requêtes de tissus provenant de scientifiques œuvrant au Québec et à travers le monde, et environ 2000 échantillons en moyenne sont préparés annuellement pour la recherche. Ces échantillons ont permis d’innombrables découvertes sur les maladies qui touchent le cerveau humain, et notamment sur la maladie d’Alzheimer, la dépression et le suicide. Les développements récents en biologie moléculaire, en bio-informatique et en en neuroimagerie post-mortem permettront sans aucun doute, au cours des années à venir, des analyses d’une précision remarquable. Les résultats de ces analyses devraient ensuite permettre de mieux comprendre les mécanismes biologiques à l’origine des maladies cérébrales, ouvrant ainsi la porte au développement d’approches préventives et thérapeutiques d’une plus grande efficacité.

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1 En plus de la Fondation Douglas et du FRQ-S, soulignons que le soutien financier de la Fondation Brain Canada et du programme Healthy Brains, Healthy Lives (Apogée Canada) ont été particulièrement importants au cours des dernières années.